A l’inverse de la pensée, autrefois, de Charles-Augustin Coulomb (1736-1806), d’André-Marie Ampère (1775-1836), de Hans Christian Œrsted (1777-1851), d’Augustin Fresnel (1788-1827), de Michael Faraday (1791-1867), et de tous les autres illustres prédécesseurs de James Clerk Maxwell (1831-1879) dont ce dernier réussit à synthétiser les travaux, l'ÉLECTROSTATIQUE n'est pas une science indépendante.
En ayant affaire à des charges électriques au repos (et aux champs et potentiels statiques qui en découlent), l'ÉLECTROSTATIQUE n’est qu’un volet d'une vaste science aux nombreux visages : l’ÉLECTROMAGNÉTISME. Tantôt déguisé en ÉLECTROSTATIQUE, tantôt en OPTIQUE GÉOMÉTRIQUE ou ONDULATOIRE, tantôt en ÉLECTROCINÉTIQUE, ou encore en MAGNÉTOSTATIQUE, l’ÉLECTROMAGNÉTISME universitaire se décline en plusieurs UE. Celles-ci sont d’ordinaire vues indépendamment, sans lien apparent, ce qui fait souvent oublier leurs relations unificatrices profondes.
En périodes P9 et P10, notre attention se portera sur quelques-uns de ces liens et sur les autres volets d’ÉLECTROMAGNÉTISME. Nous survolerons d’abord un concept particulièrement crucial, que nous n’avons pas eu le temps d’aborder en P6 : l’énergie électrostatique. Ensuite, nous enchaînerons avec trois volets restants dont l’étude a pour prérequis l’UE que nous avions étudiée en P6. Petit-à-petit, nous lèverons au fil du temps les contraintes qui pesaient sur la mobilité des charges électriques. D’abord, en les rendant mobiles à une vitesse d’ensemble uniforme. Puis, à des vitesses variables sinusoïdales, voire quelconques. Différents régimes riches en phénomènes seront alors parcourus :
• L’ÉLECTROCINÉTIQUE, pierre angulaire de l’étude des circuits électriques, deviendra un passage obligé dès lors que nous permettrons aux charges électriques de se déplacer à vitesse uniforme, tel un ban de poissons qui avance tout droit comme un seul bloc à vitesse constante. En effet, ce mouvement d’ensemble donne lieu à un courant électrique, et on comprend bien que ce courant est un courant permanent (càd un courant continu, DC).
• La MAGNÉTOSTATIQUE s’ensuivra naturellement en raison du champ magnétique statique que tout courant permanent engendre.
• L’ÉLECTROMAGNÉTISME en plein régime, à savoir, le régime non-stationnaire à proprement parler, ne sera abordé que lorsque les charges électriques seront autorisées à se mouvoir avec des vitesses variables arbitraires. Deux vastes, et ô combien importants, chapitres s’offriront alors à nous à la suite de la suppression de ce dernier bouclier :
o l’induction électromagnétique, dont les applications en ingénierie sont particulièrement nombreuses (générateur de courant alternatif, moteur électromagnétique, antenne Hertzienne, …) ;
o la propagation des ondes électromagnétiques, qui sont des ondes invisibles se propageant à la même vitesse que la lumière (télécoms, téléphonie mobile, radar, wifi, communications satellitaires, …).
Pour le physicien écossais James Clerk Maxwell, cette coïncidence ne pouvait être due au hasard : si les ondes électromagnétiques se propageaient à la même vitesse que la lumière, c'est que la lumière, elle-même, serait une onde électromagnétique. Ainsi, en 1865, Maxwell avança que la lumière est un phénomène ondulatoire dû à des phénomènes électriques et magnétiques.
« Théorie électromagnétique de la lumière », tel est le titre du Chapitre XX du « traité d'électricité et de magnétisme » de James Clerk Maxwell. La citation célèbre ci-dessous, sortie de son contexte originel, résume assez bien le contenu de ce titre : « Que la lumière soit, et la lumière fut ». Œuvre essentiellement du grand savant écossais, une science à part entière naquit de cette phrase.
Pour autant, l’épopée électromagnétique ne s’arrêta pas avec Maxwell et ses travaux fondateurs. A l’aube du XXe siècle, un certain Albert Einstein (1879-1955) reformula la théorie dans un cadre mathématique totalement relativiste cohérent. Grâce à cette formulation, certaines lois jusqu’alors basées sur l’expérience (loi de Faraday) se démontrèrent mathématiquement.
Puis, une nouvelle formulation bien plus précise, profonde et exacte de la théorie ÉLECTROMAGNÉTIQUE, théorie jusqu’alors purement classique et non quantique, s’ensuivit lorsque Paul Dirac (1902-1984), en établissant le coefficient de l'émission spontanée d'un atome, jeta dans les années 1920 les bases de la première théorie quantique de l'interaction des radiations et de la matière.
Enfin, une formulation ingénieuse d’une théorie quantique des champs, nommée ÉLECTRODYNAMIQUE QUANTIQUE (QED), fut proposée au milieu du XXe siècle. Œuvre essentiellement des trois prix Nobel (1965) Sin-Itiro Tomonaga (1906-1979), Julian Seymour Schwinger (1918-1994) et Richard Feynman (1918-1988), la QED contourne, à l’aide du concept d’invariance de jauge, toutes les difficultés pour élaborer un formalisme purement quantique permettant la création et l'annihilation de particules.
La saga électromagnétique continue encore et encore, sans cesse, jusqu’à nos jours. La quête d’une unification suprême réunifiant toutes les interactions physiques en est le but ultime. Est-ce un but réaliste ? Ou ne serait-ce qu’un rêve, une chimère, une utopie ? Sur ce point les avis divergent. Mais la réponse à cette question n’a peut-être pas trop d’importance. Rappelons-nous le voyage d’Ulysse qu’Homère nous raconte dans l’Odyssée. Quel était le véritable but de son héros ? Ecourter son voyage telle une course contre la montre pour regagner son Ithaque natale ? Ou plutôt amasser des connaissances et vivre d’innombrables expériences lors d’un interminable périple ? C’est bien cette dernière option qui fut le but de ce téméraire héros d’Homère. Il en va de même pour les savants d’aujourd’hui. Peu importe, donc, si oui ou non l’unification ultime sera achevée un jour. Pendant « ce long voyage », qui a déjà duré presque 150 ans depuis que Maxwell formula son traité et dont la finalité rêvée serait l’unification suprême, des pans entiers de connaissances en physique fondamentale ou appliquée furent découverts, et de prodigieux exploits en ingénierie furent réalisés. Ce sont de véritables bonds de géants qui ont été accomplis par les scientifiques au profit de l’humanité tout entière.
Citons quelques vers du poème Ithaque de Constantin Cavafy (1863-1933) écrit en grec moderne et traduit par Lacarrière et Yourcenar :
« Garde sans cesse Ithaque présente dans ton esprit. Ton but final est d’y parvenir, mais n’écourte pas ton voyage : mieux vaut qu’il dure de longues années et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse, riche de tout ce que tu as gagné en chemin, sans attendre qu’Ithaque t’enrichisse. Ithaque t’a donné le beau voyage : sans elle, tu ne te serais pas mis en route. Elle n’a plus rien à te donner. Si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé. Sage comme tu l’es devenu à la suite de tant d’expériences, tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques. »